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Les chantiers phares du Nant de Drance et de la transformation de la gare de Lausanne ont en commun d’avoir pris dès le départ le virage du numérique. Avec, à la clé, des délais de conception et des coûts réduits. Des améliorations rendues possibles grâce à l’application du Building Information Modelling (BIM).
Si les bâtisseurs sont passés à la numérisation des plans il y a trente ans, le BIM va plus loin. Il s’agit d’un processus de collecte, de partage et de gestion de l’information sur une maquette numérique intégrée, c’est-à-dire synchronisée entre les acteurs. Son objectif est de faire collaborer le plus efficacement de nombreux métiers autour d’un même projet, qu’il s’agisse d’une rénovation ou d’une nouvelle construction. C’est aussi une méthode qui inclut l’ensemble du cycle de vie d’un ouvrage. De sa conception jusqu’à sa démolition.
Création d’un avatar numérique du projet
«Le BIM représente une approche optimisée de la collaboration dans la construction, basée le plus souvent sur un socle 3D. Cette technique – permise par la démocratisation des outils numériques – met en convergence une somme de données avec lesquelles un avatar du projet de construction sera créé, explique Redouane Boumaref, professeur et chercheur à la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Toutes les industries expérimentent le fonctionnement de leur produit sur des prototypes. La commercialisation ne se fera qu’après optimisation de ce dernier. La construction est la seule industrie qui livre directement au client un prototype. L’utilisation du BIM permet de changer ce paradigme.»
L’un des avantages du BIM réside surtout dans la constitution d’un patrimoine de données. Les paramètres de chaque équipement dessinés y sont intégrés. Une telle maquette numérique peut être utilisée jusqu’à la fin du cycle de vie d’un ouvrage par un gestionnaire d’exploitation (facility manager). «Les coûts du cycle de vie d’un bâtiment sont généralement fractionnés à 25% pour la construction et à 75% pour l’exploitation. C’est là où le BIM apporte le plus d’économies. Une maquette numérique résultant d’un processus BIM bien géré devient un outil de contrôle et de mesure très performant», détaille Redouane Boumaref.
Faire évoluer les métiers
La mise à niveau des professionnels se fait progressivement en Suisse. «L’idée générale est de préserver l’expérience de chacun en faisant évoluer les métiers, explique Romain du Sordet, ingénieur chef de projet chez Amstein + Walthert Genève, un bureau d’ingénieurs à la pointe dans l’intégration du BIM. Ainsi, les dessinateurs et techniciens deviennent BIM modeleurs. Ils dessinent et coordonnent en 3D puis implémentent les données des équipements selon leur expertise. Les ingénieurs intègrent, eux, notamment leurs calculs à la maquette BIM leur permettant d’auditer l’ensemble du travail réalisé. Les tâches sont facilitées par cette base de données commune et grâce aux nouveaux logiciels et outils disponibles (cloud, script de programmation, réalité augmentée et virtuelle, scanner laser…).» De nouvelles fonctions émergent également comme BIM coordinateur et BIM manager, des profils très expérimentés encore difficiles à dénicher en Suisse.
«Chez Amstein + Walthert Genève, qui compte une centaine d’employés, un pôle de compétence BIM a été créé dès 2013 pour répondre à des projets pilotes, indique Romain du Sordet. Le processus de numérisation de l’entreprise est depuis porté directement par l’ensemble des collaborateurs de façon continue.» Et le trentenaire de préciser: «Depuis cette année, nous faisons le pari de mener tous nos projets en BIM, même si un client ne l’exige pas. Le jour où l’ensemble de la filière l’intégrera, nous serons prêts.»
Si on parle du BIM depuis une dizaine d’années, la méthode ne s’est vraiment concrétisée que ces dernières années. «En Suisse romande, il y a peu d’intégration de l’approche BIM dans l’enseignement de base des filières de formations spécialisées, les choses se mettent en place doucement, explique Redouane Boumaref. Pour l’heure, la meilleure route reste celle de l’expérimentation. Les premières volées d’étudiants suisses parlant BIM ne seront sur le marché de l’emploi que dans un horizon de trois à cinq ans.»
«Eviter les erreurs»
Christophe Kaempfer fait, lui, figure de pionnier. Cet architecte et patron du bureau AEC architectes basé à Vauderens (FR) a fait le pari du BIM dès 2006, d’abord par curiosité. Il a vite compris que son utilisation changeait fondamentalement la manière de concevoir ses projets. «Le BIM, c’est avant tout une maquette informée, on peut y insérer ou en retirer nombre d’informations. Toutefois, s’il faut être encore plus rigoureux dans sa conception – qui prend également plus de temps –, une telle maquette permet de visualiser et vérifier la future construction et ainsi corriger et éviter nombre d’erreurs.»
Christophe Kaempfer poursuit: «Il faut réfléchir différemment. Le BIM change les habitudes de conception et de travail.» Si un passage au BIM implique une baisse de productivité temporaire, cela est compensé en quelques semaines. Principal problème pointé par l’architecte «dans les petits projets, les autres intervenants – installateurs techniques, chauffage, sanitaires – sont peu à jour et s’y mettent lentement.» Exit donc la synchronisation entre métiers. Mais l’architecte ne doute pas que tout le monde va finir par l’intégrer. Car au final, les acteurs d’un chantier gagnent du temps et de l’argent, de l’ordre de 15 à 20% selon les dernières études.
«A terme, le BIM fera partie intégrante des appels d’offres publics et privés car il réduit les coûts de défauts d’interopérabilité et permet de piloter des projets de plus en plus complexes avec des délais de plus en plus réduits», conclut Romain du Sordet, qui insiste sur l’inéluctabilité de son implémentation: «Le BIM n’est pas une mode passagère car il en découle des besoins opérationnels du marché qui concernent tous les acteurs.» Redouane Boumaref met lui aussi en garde la profession: «Nos confrères sont soumis à une rude concurrence étrangère [intégrant déjà le BIM]. Les maîtres d’ouvrage imposent de plus en plus de mandats BIM.» A l’image radicale du Royaume-Uni, où tous les projets publics l’intègrent obligatoirement, excluant de facto les professionnels à la traîne.
Source le Temps / Simon Moreillon
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